Hommage.

Publié le par désirs d'Avenir ouest 06

 

lettre-sr.gifHommage à Aimé Césaire pour le centenaire de sa naissance

 

«Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont pas de bouche, ma voix la liberté de celles qui s'affaissent au cachot »

Aimé Césaire

 
C'est la belle phrase que je mets en tête du chapitre qui lui consacré dans Cette belle idée du courage. Le vendredi 26 janvier 2007, je rends visite à celui qui avait accepté de présider mon comité de soutien de ma candidature à la présidentielle. J'ai souhaité partager avec vous des images de cette visite ainsi que des extraits de ce chapitre.

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«  Il m'a pris la main et nous sommes sortis sur le perron de la mairie de Fort de France. C'est un effort car, fatigué, il ne raccompagne plus ses hôtes. Il marche à petits pas, mais son regard est vif et malicieux, bienveillant, derrière ses petites lunettes rondes. Une grande bonté s'en dégage.
Je me souviens de cette phrase qu'il avait prononcée ce jour-là et qui m'avait tellement touchée : « elle a su nous écouter ».
Je lui rappelle que, jeune stagiaire de l'Ena en 1978, j'avais reçu l'interdiction du Préfet de lui rendre visite. « Oui me dit-il, je dérangeais. Le pouvoir a cru m'épuiser en m'isolant, en me mettant en quarantaine. Ce qui nous unit ici sur cette terre, a été plus fort que ça, malgré la misère des habitants. »
Il en a fallu du courage, à Aimé Césaire, pour tenir bon, ne pas se donner tout entier à une carrière universitaire, ni intellectuelle, mais pour rester, sans moyens, maire de Fort de France au milieu des siens.
En ce mois de janvier, je lui rends visite car Aimé Césaire m'a fait le généreux cadeau de présider mon comité de soutien de ma candidature à la présidentielle. A la surprise générale, j'avais lancé cette demande.
Je me souviens de la fierté et de la gratitude que j'en ai éprouvé alors quand il a accepté.
Il m'a offert un livre de poèmes avec cette dédicace : « A Ségolène Royal qui représente pour nous l'espérance, pour lui dire notre confiance ».
Il m'appelait malicieusement « Ségolène Loyale ».
Je me souviens de son affabilité, de sa courtoisie, de sa disponibilité.
Ils ne sont pas nombreux les grands éveilleurs de conscience, les éclaireurs de leur temps, démineurs d'hypocrisie et en même temps porteurs d'espoir.
La voix d'Aimé Césaire s'est éteinte mais sa parole continue de nous accompagner, portée par l'œuvre incandescente d'un poète qui ne se déroba pas aux rendez-vous de l'histoire.
 
Il y a bien des façons d'aimer Césaire.
Je vais vous dire la mienne.
Elle ne date pas de nos premières rencontres mais de bien avant.
J'ai d'abord rencontré Césaire par ses textes. Je crois qu'ils m'ont marquée à jamais. Et par l'écho de ses combats dans notre histoire commune.
« Nègre » était une insulte. Il en fit une fierté et l'étendard d'un combat pour la dignité et l'égalité vraies, que toujours il lia à l'émancipation de tous.
Avec Damas le Guyanais et Senghor le Sénégalais, ils poussèrent le « grand cri nègre » contre le mimétisme imposé et l'aliénation.
« Nègre je suis, nègre je resterai » écrit Aimé Césaire ; mais aussi : « Plus nous serons nègres, plus nous serons des hommes. » Car il n'y avait pour lui de véritable universel qu'enrichi des singularités et des apports de chacun ainsi que de leurs relations fécondes dont il était l'exemple.
La négritude, telle qu'il la concevait, n'est pas une identité repliée sur elle-même mais, disait-il, l'une des formes historiques de la condition faite à l'homme, la métaphore de la mise à part et la quête d'une plus large fraternité.
La revue L'Etudiant noir, les éditions Présence africaine, les deux congrès des écrivains et artistes noirs ont été les porte-voix de ce mouvement créatif et émancipateur.
« Ma bouche, écrit Césaire dans le magnifique Cahier du retour au pays natal, sera la bouche des malheurs qui n'ont pas de bouche, ma voix la liberté de celles qui s'affaissent au cachot ». Il en ébauche ainsi la liste : « homme-juif, homme-caffre, homme-hindou de Calcutta, homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas, homme-famine, homme-insulte, homme-torture ».
Il a tenu parole, fidèle au parti-pris d'une vie.
La puissance incantatoire de ce texte subjugua André Breton qui y voyait « un guide pour l'inexpliqué ». Edouard Glissant, lui aussi très grand poète martiniquais, a salué cette somptueuse « poétique de la souffrance historique ».
 
La négritude revendiquée fut une éblouissante déflagration poétique et un acte de courage politique.
 
(...)
 
Aimé Césaire était un homme de volonté et de haute exigence.
J'aime que jamais sa fermeté et sa droiture ne se soient abaissée en raideur sectaire.
J'aime qu'il n'ait cessé d'opposer un refus vibrant au mensonge.
J'aime qu'il ait été si attentif à l'humaine complexité dont l'histoire est tissée.
Il n'aimait pas ce qu'il appelait « la littérature des mots d'ordre ».
Il croyait au pouvoir d'une langue de haute tenue, audacieuse et rebelle.
Il voulait que son théâtre donne à voir sa poésie.
Il s'adressait à tous sans jamais en rabattre sur l'impétueuse beauté de textes écrits, disait-il, dans les plis et les interstices de l'action.
Sa langue effervescente a, comme le dit son ami le poète haïtien René Depestre, fait œuvre de marronnage dans un français qu'il a su recréer et rendre hospitalier à des mots, des sons, des formes, des rythmes qui ont enrichi notre patrimoine littéraire.
Les fils et les filles de Césaire sont nombreux de par le monde, écrivains auxquels il a ouvert la voie, militants dont il a fortifié les raisons, hommes et femmes qu'il a aidé à voyager en eux-mêmes et à se redresser.
Pour moi, il reste un puissant encouragement à penser loin des poncifs.
Loin de ces « vainqueurs omniscients et naïfs » qui se trompent et nous trompent.
Merci à vous, Aimé Césaire, dont la parole prophétique, belle comme l'oxygène naissant disait André Breton, annonce que « les hommes de bonne volonté feront au monde une nouvelle lumière ».
Merci pour votre amitié. »

 
 
 
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